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vendredi 11 janvier 2008

L'Allemagne : un passé qui ne passe pas

Compte rendu du documentaire L’Allemagne, un passé qui ne passe pas.

Ce documentaire de 2006 a été diffusé mardi 8 janvier 2008, sur Arte de 23H05 à 00H40. (rediffusion à 9H00 le 15 janvier)
L’auteur de ce documentaire est Michael Verhoeven (né en 1938) : ce n’est pas son coup d’essai en matière de travail de mémoire et de compréhension du passé nazi de l’Allemagne.
(Pour plus d’information voir : http://television.telerama.fr/tele/emission.php?onglet=essentiel&id=7763686 )

A partir d’une exposition, Guerre d’extermination, crimes de la Wehrmacht de 1941 à 1944, tenue à Hambourg, (1995, puis 2001) qui avait pour but de briser le tabou d’une armée régulière innocente du crime de génocide, l’auteur se penche sur les réactions des Allemands et la compréhension qu’ils ont des événements et des responsabilités de la Wehrmacht : c’est ce qui occupe les deux tiers du documentaire. Le dernier tiers est consacré à une enquête en Ukraine, Russie et Biélorussie qui porte sur les pratiques génocidaires de l’année 41. Des témoins rescapés et des historiens locaux sont interrogés. Un historien du mémorial de l’Holocauste de Washington, Peter Black, est aussi sollicité,. (http://www.ushmm.org/)
Les deux parties sont de durée inégale. Mais le changement de point de vue –d’un côté on interroge les Allemands et de l’autre les victimes-, s’il crée une rupture assez nette dans la construction narrative permet de faire le tour de la question. Signalons tout de même que certaines images avaient déjà été vues dans un film russe sur les massacres commis en Ukraine et Biélorussie (Children from the abyss de Pavel Chukhraj, 1997, disponible, avec quatre autres documentaires dans le coffret Broken Silence, Steven Spielberg and Survivors of the Shaoh Visual History foundation, Universal DVD, 2004). On y comprend le mécanisme de l’extermination avant Auschwitz : regroupement dans des ghettos, propagande intense de l’armée allemande qui vise à assimiler juifs et bolchéviks afin de susciter les haines nationalistes, recrutement d’auxiliaires locaux (les politsai ukrainiens dans le film de Chukraj), exécutions. Il n’est pas inutile de rappeler comme le fait Verhoeven que 40% des personnes exterminées ne l’ont pas été dans les camps d’extermination.
La première partie est de loin la plus originale : on y voit les nombreuses lignes de fractures de la société allemande confrontée à son passé. La question est de savoir si les simples soldats de la Wehrmacht ont pris une part active aux violences à visée génocidaire. Sont présentés les avis des historiens (Pohl, Rupnow, Hans Mommsen). Tous leurs commentaires montrent que des unités autres que les Waffen SS ou que les Einsatzgruppen ont participé aux massacres : en attestent les lettres parfois explicites et les photographies que les soldats ont adressé à leur familles, et qui ont servi lors des expositions en Allemagne. Restait à comprendre le mécanisme qui conduit des hommes « ordinaires » à devenir des meurtriers de masse. Les convictions racistes et antisémites ont joué leur rôle. Le mépris envers les sous-hommes justifie toutes les abominations. Les normes sont bouleversées. Harald Welzer dans un livre récemment traduit en français montre à quel point en peu de temps il est admis comme normal de tuer les Juifs (p.199) : « Les hommes agissent dans un microcosme où il existe des différences et des différends quant à l’exécution, mais où l’accord règne sur la nécessité des opérations. La pratique elle-même modifie la perspective normative. »
Les opposants à ces thèses c'est-à-dire ceux qui refusent l’idée que les soldats allemands aient participé sciemment et parfois consciencieusement aux massacres présentent des objections nombreuses : passons vite sur ceux qui mettent en doute les photographies et les qualifient de propagande « rouge ». Le documentaire contient de nombreux passages où s’expriment des membres du NPD néo nazi. Plus fréquemment on reproche en Allemagne de salir la mémoire des pères et grands-pères qui ont combattu bravement sans participer au génocide : leurs descendants refusent qu’on leur fasse individuellement endosser une responsabilité collective. Or, justement la question de la responsabilité est cruciale : les exécuteurs n’avaient pas la conscience de commettre un crime, puisque le crime était devenu la norme. Mais leurs descendants ont ce recul qui ne peut empêcher la culpabilité. Comment dès lors admettre ? La réponse est bien souvent que les ordres étaient les ordres. Le choix de refuser était impossible. Or le documentaire montre aussi que certains officiers ont refusé d’obéir à des ordres d’extermination. Ils n’ont pas été punis. Mais d’autres se chargeaient de la besogne.
Les enjeux mémoriels on le constate en regardant ce documentaire sont extrêmement forts. Le soldat inconnu (image du début du film, tombe du soldat inconnu à Munich) –en jouant sur la polysémie du terme- doit-il le rester pour préserver le consensus social ? Le travail historien d’administration de la preuve est dérangeant. Et cependant il oblige les sociétés à se questionner sur le fonctionnement de groupes humains capables de basculer dans la « folie » meurtrière. C’est peut-être un des plus grands mérites de ce long documentaire que de laisser les divergences s’exprimer mais d’établir les faits historiques. La vérité est forcément bouleversante car elle interroge aussi notre capacité individuelle à décider, à résister.


Bibliographie en français :
Hilberg Raul, Exécuteurs, victimes, témoins, folio histoire, 1994, réed 2004.
Sémelin Jacques, Purifier et détruire, usages politiques des massacres et des génocides, Seuil, 2006.
Welzer Harald, Les exécuteurs, des hommes normaux aux meurtriers de masse, Gallimard NRF essais, 2005, 2007 pour la traduction.

2 commentaires:

blottière a dit…

Belle intitiative en effet, je trouve ces contibutions instructives. J'ajoute le blog dans mes favoris.

Cordialement.
J. Blottiere

blottière a dit…

Voici votre blog ajouté sur cette page: http://bricabraque.unblog.fr/2007/10/02/liens/.

A bientôt peut-être.

J. B.