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dimanche 2 décembre 2007

Monument aux Morts de Castelmoron sur Lot (47260)

La création du monument aux morts de Castelmoron (1920-1925) : commémoration et politique

Après l’armistice du 11 novembre 1918 qui met fin aux combats (mais pas à la mortalité) de la Grande Guerre, chaque commune, chaque groupe socioprofessionnel ou religieux investit les lieux publics, les lieux de rassemblement cultuels ou associatifs pour dresser les témoignages matériels de la reconnaissance due « aux morts pour la Patrie ». Chaque monument, chaque stèle, chaque inscription célèbre nos morts, encore plus que la victoire et offre une image des représentations que l’époque s’est faite de la guerre et de ses dommages.

Une commune éprouvée mais mobilisée.
Castelmoron n’a pas échappé à la frénésie commémorative de l’après-guerre. Il a fallu répondre au deuil de masse, corolaire de la mort de masse. A Castelmoron, la population est très éprouvée : 3.63% des 1451 habitants recensés en 1911 ont été engloutis par les combats (contre 3.14% pour le département). L’Etat, comme souvent, encourage, mais aide avec parcimonie des communes endettées, dont les budgets sortent exsangues de la guerre. Ainsi, notre commune ne pourra compter que sur une modeste subvention de 700 f sur un total de plus de 14000 f dépensés en 1925 ! C’est un prix qui se trouve dans la moyenne des dépenses des communes du département. Pour exemples, Montpezat a dépensé 10000 f, quand Ste Livrade consacre pas loin de 55000 f mais pour plusieurs monuments.
C’est toute la communauté villageoise qui s’est mobilisée pour le monument : de la conception au financement : ce sont ainsi 4517 f de souscription qui ont été recueillis et ont constitué le relais incontournable des finances publiques. Quant aux choix, de l’emplacement, de la forme du monument, ils ont été dictés par la recherche d’un consensus. Or, ce consensus n’a pas été facile à trouver. Résumons ce que les sources municipales et départementales nous apprennent.

Une commission pour le monument.
C’est en 1920, que la municipalité de Castelmoron se lance dans la définition et la réalisation d’un monument, dédié aux morts pour la patrie. La réalisation dudit monument a été longue : le premier plan est en effet dressé par l’architecte Gabriel Teysseré de Villeneuve sur Lot en mars 1921. Le projet – devis, plans et délibérations du conseil municipal- n’est transmis qu’en juin 1922 à la préfecture pour approbation. La réception définitive a lieu en juillet 1924, l’inauguration solennelle le 21 décembre 1924 : il aura fallu entre temps peindre en lettres d’or inscriptions et noms (décembre 1924).
Qu’est ce qui peut expliquer ces délais longs, quatre ans, pour un monument dont personne ne contestait l’impérieuse nécessité ? et d’ailleurs ces délais sont-ils réellement longs ?
Il faut remarquer que le cas de Castelmoron n’est pas isolé. Un des monuments de Ste Livrade n’est inauguré qu’en 1928 ! Beaucoup d’autres ne le seront qu’au début des années 30. Il faut aussi rappeler que les architectes, statuaires, marbriers, forgerons et autres maçons n’ont pas non plus manqué d’ouvrage, dans cette période « faste » de la construction funéraire. Mais, pour autant, il semble que l’unanimité ait été difficile à faire…rapidement. Et cependant, dès 1920 les choses semblaient aller bon train : on a déjà contacté Teysseré (il ne semble pas qu’il y ait eu de projets concurrents) et au printemps 1921, le projet est dessiné, d’un classicisme qui empêche son refus, par les autorités préfectorales. En effet, celles-ci veillent « au bon goût », c'est-à-dire à l’exclusion de l’art moderne. Un comité (appelé aussi commission ou assemblée générale) municipal est désigné ad hoc. Il répond à une indéniable volonté démocratique -défendue jusqu’au bout par le maire, Pierre Carles- car toutes les « sociétés », sont appelées à siéger. Toute la gamme des options politiques, sociales et religieuses sont représentées car l’érection du monument est conçue d’emblée comme un temps fort de la vie locale, comme un prolongement après les épreuves de l’Union sacrée : siègent donc, outre les membres du conseil municipal, des représentants des anciens combattants, mais aussi le curé, le pasteur, le juge de paix et l’instituteur, sans omettre tous les parents des soldats morts à la guerre .

Dissensions démocratiques
Cette commission dans sa composition elle-même porte les raisons de son échec : elle devait compter pas loin de 80 personnes. Le poids des anciens combattants et des familles semble capital, mais les familles des morts et disparus ne sont que membres d’honneur, certainement sans droit de vote. Certes, une commission exécutive élue par l’assemblée générale avait le pouvoir de décider. Mais elle n’y parvint jamais.
On ne connaît pas la composition nominale de la commission exécutive, mais on sait que la majorité absolue était requise, et qu’elle était fixée à 18 voix. Dans le détail il est difficile de cerner quels ont pu être les débats. La commission générale est convoquée à trois reprises en février 1920, novembre 1920 et en mai 1921, après la démission de la commission exécutive. En définitive, la crise n’est pas finie et l’acmé est atteinte en juin 1921, quand, le conseil municipal, de guerre lasse, prononce la dissolution de la commission vieille d’un mois, contre l’avis du maire Pierre Carles. Celui-ci démissionne. Apogée de la mésentente ou tactique pour se débarrasser de la commission, Pierre Carles a réintégré son poste en septembre. Les débats sont ensuite internes au conseil municipal qui met encore un an avant d’approuver le projet Teysseré.
Il semble bien qu’au cœur des dissensions se trouve la question de l’emplacement du monument. Dans un premier temps, le choix de certains membres du Conseil municipal se serait volontiers porté sur la place Henri IV. Mais la commission générale ne se décide pas sur l’emplacement exact : côté église ou côté halle ? et d’ailleurs pourquoi si loin du Temple protestant ? ou du cimetière ? La « centralité » du monument dans l’espace villageois est symbolique, donc essentielle. C’est finalement grâce au don d’une parcelle de 100 m² par un industriel, Félix Alexandre, au lieu dit des « champs pointus » qui permet d’aller de l’avant. La crise est alors débloquée, mais la facture s’alourdit car les formes généreuses et le poids du monument obligent à consolider le soubassement initialement prévu. Il faut encore après l’inauguration du monument prévoir la création d’un trottoir (1925).

Présence du monument
Malgré ces débats et retards, le monument a été achevé et 52 noms y ont été portés, initialement en lettres d’or. Il trouve sa place dans l’espace communal : au croisement de deux axes dans le prolongement de la rue du 11 novembre 1918 (c’est le choix le moins fréquent, dans les communes de France, mais on aura compris qu’il s’est fait par défaut). Il est le point d’arrivée des processions lors des commémorations, 11 novembre et 8 mai. Un point de rassemblement de la communauté, toutes générations confondues, même si la signification initiale est moins vive : comment pour les générations les plus récentes qui n’ont pas connu les guerres –et qui s’en plaindra- rendre compréhensible le patriotisme que dégage cette victoire ailée ? A une époque où les menaces de guerre dans une Europe organisée et pacifique se sont éloignées, que peut encore évoquer cette virile victoire qui brise les chaînes auxquelles l’Allemagne voulait attacher la Liberté, la France, la Patrie ? Quel sens encore donner à ce geste meurtrier qui consiste à fouler aux pieds le cadavre de l’aigle impérial allemand et le casque à pointe symbole du militarisme « boche » ? Quoiqu’on puisse penser de la pertinence du message très patriotique de notre monument, il reste ceci qui le rend vivant : l’attachement à nos morts. Certes, les convictions qui étaient celles de leur jeunesse –amour de la Patrie, de la République, de ses institutions- peuvent nous paraître désuètes, mais tous les habitants face au monument restent saisis par l’effroi et le chagrin. Notre monument demeure le symbole des deuils immenses surgis des guerres du XXe siècle.





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